Et si dieu n’existait ?

L’absence de David Servan Schreiber sur cette terre est cruelle. Mon esprit manque de ressources pour accepter la fin de cette étoile amicale et lumineuse qui a franchi la vie avec tant d’intelligence, de gentillesse et de compassion.

Je me souviens d’une discussion avec David qui s’est produite sur plusieurs années et qui portait sur l’existence de Dieu. L’irruption de ce sujet de conversation entre nous peut sembler étrange; lui comme moi venons de l’école rationnelle pour qui Dieu n’est qu’un hypothèse inutile: «Dieu je n’ai pas besoin de cette hypothèse» comme disait Laplace.

Nous avions l’habitude de nous voir une ou deux fois par an pour comparer notre vision de l’existence. Sur les dernières années, ces rendez-vous se sont un peu espacés mais cela ne veut pas dire que le dialogue ne pouvait pas reprendre très rapidement.

Le sujet de Dieu et de la spiritualité fut au centre de nos dernières discussions. Apprenant l’aggravement de sa maladie, je me souviens de lui avoir parlé d’Eva Pierrakos et de ses 258 extraordinaires conférences sur le développement spirituel. « Ca t’intéresse ? » « Tu parles, oui bien sur ».

Je ne suis pas sur qu’il ait eu les temps d’en lire quelques unes, tout occupé qu’il fut par la passion de son dernier combat mais peu importe. L'essentiel, à mes yeux, est que, par sa réponse, il montrait que sa curiosité pour l’hypothèse inutile était toujours intacte.

Toute notre discussion tournait autour de savoir si, justement, cette hypothèse était aussi inutile que cela.

Ne connaissant pas son évolution sur ces derniers mois, je me garderai bien d’affirmer connaître sa position ultime à ce sujet mais il me semble qu’il a eu, pendant une longue partie des années où il est devenu le grand psychiatre humaniste qu’il a été, une attitude «utilitariste» vis-à-vis de Dieu.

Je me souviens de lui racontant le cas d’un patient pompier à Pittsburgh qui souffrait d’un syndrome de stress post traumatique (PTSD post traumatique stress syndrome en anglais) conséquence, je crois, d'un incident du feu. Ce type était détruit par l’irruption de peurs irrationnelles qui l’empêchaient de traverser même une rue. Et David apparemment n’arrivait pas à le faire passer à travers sa douleur quand, lors d’une session EMDR , il lui demande s’il croit en Jésus. Le patient répond que oui et, du coup, David lui suggère de revivre les événements en se fiant à Jésus, en lui faisant confiance. Et là, miracle, le type traverse son syndrome et découvre dans sa foi un moyen de dépasser sa peur et de retrouver, en quelques sorte, une autonomie émotionnelle.

Cette histoire n’a, bien évidemment, jamais constitué, ni pour David ni pour moi, une «preuve» de l’existence de Dieu, mais elle illustre parfaitement le caractère parfois utile de cette croyance.

En fait il y a deux lectures possibles de cette anecdote. La première, un peu cynique, est de dire: « Ah, ils veulent du Dieu, et bien donnons leurs en ». Bien qu’elle ne soit pas mienne, je tiens à souligner à quel point cette attitude est déjà loin de l'intransigeance à la Laplace.

L’autre lecture, bien plus bienveillante, est complémentaire de la première et consiste à voir Dieu comme une hypothèse qui peut permettre à certains d’entre nous de se dépasser. Nous rencontrons tous dans notre vie des moments où nos peurs, où nos chagrins nous submergent et où, parfois même sans le savoir, nous manquons des ressources psychiques et spirituelles pour les traverser, pour rester nous même, pour ne pas nous abîmer. Peut-être qu’alors la croyance en Dieu peut aider à trouver en nous des ressources qui nous semblent si cruellement absentes.

Je ne peux affirmer que cette deuxième lecture fut l’opinion de David, mais j’aime croire que sa bienveillance ne s'y opposait pas.

Normalement, lorsque dans une phrase on emploie l’adverbe « ne » tout seul c’est pour exprimer une négation totale. J’ai voulu faire l’inverse ici. Nous avons tellement l’habitude d’entendre dire que Dieu n’existe PAS, qu’il ma semblé que supprimer cette deuxième partie de l’adverbe de négation pouvait permettre d’introduire un élément de rupture dans ce qui constitue également une croyance. Rupture qui porte pas tant sur le contenu de cette croyance mais sur le fait que l’affirmation si catégorique de la non-existence de Dieu, à laquelle notre éducation nous à tant habituée, pouvait retirer à d’autres le moyen de grandir, de franchir le « pas » (si je puis dire) vers la maturité, l’autonomie et l’empuissancement, terme si cher à David (adaptation en français de la notion d'empowerment).

Que cela soit bien clair: je n'affirme pas ici que cette opinion à propos de Dieu et de l'utilité d'y croire dans certains circonstances fut celle de David. Par contre je crois pouvoir affirmer qu'une bonne partie de son travail a constitué à nous donner les moyens de trouver en nous la force de surmonter certains des murs qui nous emprisonnent et, qu'en ce sens là, David a cherché à être aussi un médecin des âmes.

Force de la vie, David tu fus, à mon sens, un grand docteur. J’aime à croire et j’ai besoin de croire que ton rappel vers l’éternité nous aidera tous à vivre et nous inspirera à devenir plus autonomes. Amitiés éternelles.

© Tous droits réservés 2011 Bruno Levy

Commentaires

Anonyme a dit…
Joli témoignage, très vivant