Le surendettement de l’État comme faillite de la volonté générale



Le surendettement souverain est la conséquence
de la théorie de l’État comme instrument au service de la volonté générale.
article publié sur contrepoints.org




Le surendettement d’un Etat est une véritable folie politique qui affecte durablement la prospérité de la nation. Les dirigeants de nos États sont-ils effectivement capables, comme ils le prétendent, de servir ce qu’ils appellent l’intérêt général ?

La théorie c’est que seul l’État aurait la force et la vision à long terme nécessaire pour s’élever au dessus des “intérêts particuliers”, compétence qui lui donnerait la capacité d’intervenir sur la société pour faire respecter « l’intérêt général ».

La réalité c’est que ceux qui sont désignés pour représenter les citoyens dans l’exercice de la volonté générale, se sont avérés incapables de discerner l’intérêt de la nation à voir l’État ne pas tomber dans le surendettement.

Face à cette carence, certains vont être tenté de répéter les erreurs d’avant guerre et d’imputer cet excès d’endettement à la « mollesse » des démocraties et du coup prôner le retour à un État fort.  Mais la dérive des dépenses publiques  n’a pas seulement lieu dans les États démocratiques. Par exemple, l’historien Gotz Aly, dans son ouvrage « Comment Hitler a acheté les Allemands », a démontré que le régime Nazi n’a pas échappé à la règle du surendettement pour financer des dépenses sociales destinées à « maintenir le confort matériel de l'Allemand moyen ». Préserver le niveau de vie de la population était indispensable pour éviter à ce régime de perdre le soutien populaire (ou, à tout le moins, le consentement de catégories importantes de la population).

Le fait que le surendettement des États se soit produit sous des régimes de gauche comme de droite, par le fait de dirigeants exerçants depuis plus de trente ans leur fonction dans de nombreux pays Européens mais aussi de l’autre côté de l’Atlantique amène à chercher une explication générale.

Le surendettement de nos États est en fait la conséquence de leur caractère illibéral[1] : toute intervention publique est légitimée par le seul fait qu’elle est jugée conforme à « l’intérêt général ». En particulier, dans un État Illiberal il n’y a pas de limites posées aux domaines de d’intervention de l’État. Bref tout est (en apparence) possible à la volonté générale.

Cette absence de limites, permet aux dirigeants de l’État d’utiliser le pouvoir d’intervention publique pour séduire, amadouer ou en tout cas éviter de froisser l’opinion à l’aide d’une dépense publique qui est de plus en plus élevée et donc, de façon croissante, financée par l’endettement. L’endettement public n’est en effet pour les dirigeants d’un État illibéral qu’un moindre mal, bien trop souvent accepté sans scrupules, par rapport à la perte du soutien populaire.

Depuis 30 ans en France, l’endettement public a ainsi permis aux dirigeants Français de financer des politiques « séduisantes» pour une majorité de citoyens (l’abaissement de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans, les 35 heures, l’exclusion de l’impôt sur le revenu des bas salaires, etc.), pour maintenir le statut quo (en laissant filer les dépenses de la sécurité sociale, ou en « ne touchant pas » aux retraites), pour défendre les intérêts particuliers de catégories de population particulièrement influentes (comme les fonctionnaires) ou pour tenter d’amortir certaines situations socialement difficiles comme le chômage des jeunes à l’aide de «traitement sociaux» fort dispendieux et inefficaces (comme le prouve toute la ribambelle de « plan d’emploi pour les jeunes » ). Liste non exhaustive.

S’est ainsi mis en place dans notre pays un véritable machiavélisme social: Qui ne se souvient de la référence continue au « modèle social » français que la gauche, quand elle était au pouvoir (notamment quand Jospin était premier ministre), ne pouvait s’empêcher de décrire comme suscitant l’envie de toutes les autres nations ? Notre « modèle social » était en fait financé par nos enfants avant même qu’ils ne soient nés… Où s’arrêtera le cynisme[2] ?

Mais le caractère illibéral de nos États est générateur de surendettement pour une seconde raison. Car l’intérêt des dirigeants de l’État est de rendre indispensables les prestations de l‘État. Il est donc préférable, de leur point de vue, qu’il n’y ait pas d’offres alternatives aux « solutions » collectives qu’ils nous imposent au nom de la volonté générale.

Quand la dépense publique représente 55% du PIB, l’influence de l’État dans la vie de chacun est considérable : qui d’entre nous n’a pas dans sa famille un retraité ? Qui n’a pas eu un proche qui a bénéficié des prestations de soin d’un hôpital public ? Qui ne connaît pas autour de lui un chômeur longue-durée ? Quelle famille n'a jamais connu l’école publique?

Prenons donc bien conscience que l‘immense majorité d’entre nous, personnes individuellement responsables et autonomes, dépendons ainsi de services de l’État qui ont une influence profonde sur le déroulement de nos vies.

Dans un contexte démocratique où ni la droite ni la gauche ne souhaite permettre aux citoyens d’accéder à des alternatives aux services publics, les fonctionnaires en charge de la fourniture de ces prestations se voient donc conférer un pouvoir considérable.

Ils peuvent, en effet, s’opposer durablement à la réforme de la provision de ces services, et notamment la baisse des effectifs et des coûts, par des grèves qui causeront d’autant plus de mécontentements que notre dépendance vis à vis de ces services est quasi totale. La volonté générale est ainsi prise en otage.

Le fait que, par exemple, d’employer à l’Education Nationale deux fonctionnaires par enseignant - situation unique d’inefficacité pour un service public dont les effectifs sont parmi les plus lourds du monde - est la conséquence directe de ce blocage. Qui serait prêt à accepter une grève de trois mois des enseignants ?

On se retrouve dans la situation absurde où le fait d’imposer les prestations de l’État dans le cadre d’un monopole (sécurité sociale) ou d’un quasi monopole (éducation nationale) empêche la réforme et la baisse des coûts de provision de ces prestations.

Bref : Le surendettement public est donc la conséquence d’une contradiction interne de la théorie de l’État comme instrument au service de la volonté générale.

Laisser une plus grande liberté apparente à l’expression de la volonté générale, lui faire croire que « tout est possible », crée les conditions de son assujettissent progressif au surendettement par un double mécanisme :
·      Inflation des promesses de dépenses publiques en vue de « séduire » la volonté générale et la rendre dépendante de l’État.
·      «Prise en otage » de la volonté générale par ceux qui sont en charge de la fourniture des prestations publiques, ce qui rend impossible la réforme et l’abaissement des coûts des solutions collectives qui sont ainsi fournies

Toute cela ne constitue qu’une illustration, particulièrement douloureuse, de ce que les libéraux ont toujours affirmé : Il faut démystifier la notion d'intérêt général qui n'est bien souvent qu'un alibi cachant un phénomène d'"exploitation" du reste de la société par une caste privilégiée de fonctionnaires et bureaucrates. » (Henri Lepage)

L’Etat doit être neutre également vis à vis des intérêts particuliers de ceux qui le dirigent et notamment de leur intérêt à se maintenir à sa direction coûte que coûte, quitte à durablement ruiner le pays par l’endettement public.  

Pour sortir de l’endettement ce n’est donc pas d’un État fort dont nous avons besoin, mais d’un pays fort.  La solution pour y arriver ?  Un État qui cesse de piéger la volonté générale en prétendant pouvoir tout résoudre. Un État qui accepte non seulement de limiter ses domaines de compétences mais qui laisse à la société civile et aux entrepreneurs la possibilité d’offrir des alternatives à ces prestations (y compris la sécurité sociale qui en Allemagne est par exemple partiellement privatisée), atténuant, par la même, l’effet « prise d’otage » qui rend si difficile sa propre réforme.

On revient toujours à la nécessité de cette notion, profondément libérale, de limitation des pouvoirs de l’État qui est une garantie effective de son efficacité et … du maintien de la force et de l’indépendance économique et financière de la société.



[1] L’expression « illibéral » a été réactualisée par l’essayiste et éditorialiste américain dans son livre « Illiberal democracies » pour dénoncer la tentation d’’une certaine forme de démocratie qui veut restreindre de façon croissante la liberté individuelle au nom de la volonté générale.
[2]Autre exemple de machiavélisme social  du gouvernement Jospin : il s’est empressé d’affecter le « surcroit » d’entrées fiscales très élevées dont il bénéficiait du fait de la conjoncture économique exceptionnelle de la fin des années 90 à une « cagnotte sociale » (c’était l’expression employée)  au lieu d’en profiter pour réduire le déficit.  Cela dit ce machiavélisme est loin d’être, en France, une spécialité de la Gauche. 

© Tous droits réservés 2011 Bruno Levy

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