"Crise et châtiment" de Betrand Fitoussi: un roman beau et cruel


Il n’y a de vide que spirituel. 

En nous racontant la plongée dans les enfers de Mathieu directeur de trading CDO durant la chute vertigineuse des marchés financiers 2007-2008, Bertrand Fitoussi a écrit un roman beau et cruel.

Ne cherchez pas ici une explication technique de la crise, ni une quelconque théorie d’un complot qui serait ourdie par « Goldman Sachs ». Ce que pense l’auteur, lui même ancien responsable des marchés qui a été au cœur de la tourmente,  de ces « explications » n’est pas l’essentiel de ce roman qui fait plutôt vivre cette crise de l’intérieur, en mode subjectif. 

Car on y découvre que la chute du mode financier et la chute de son héros ont une autre origine, bien plus inquiétante en fait : le vide intérieur absolu du principal personnage et de ceux qui l’entourent.

Qu’on ne se méprenne pas: ce roman est tout sauf ennuyant. Il  est un véritable page-turner. On y rit beaucoup, on appréciera certaines scènes sexuelles croustillantes, on s'y distrait. Tant mieux d’ailleurs car le message de ce roman est rude et nous concerne tous : peut on vraiment vivre sans profondeur ?

La succession de catastrophes qui s’abat sur Mathieu fait de lui une version moderne de job, un job qui ne comprend d’ailleurs rien à ce qui lui arrive, ou plutôt qui ne comprend tout qu’à posteriori. 

Ce livre n’est absolument pas un roman à thèse mais une véritable tragédie. Une tragédie qui n’est pas non plus mise en scène pour nous apitoyer. Ne cherchez pas dans Crise et Châtiment une quelconque volonté de nous attrister sur la « vie des pauvres traders », ni même d’absoudre Mathieu de ses responsabilités.

L’auteur y examine plutôt, à l’instar d’un entomologiste, ce que devient la vie d’un cadre supérieur dans des conditions de chute accélérée. Car Mathieu est en fait juste un cadre d’entreprise qui a choisit de réussir dans le monde de la finance. Sa vie quotidienne est celle de tout cadre qui vit dans une entreprise hyper hiérarchisée avec son cocktail de rumeurs, d’injustices, de licenciements, de fausses promesses, d’alliances politiques, d’intrigues, de complicités sexuelles et d'avidités matérielles. Et chacun y travaille, y compris Mathieu, sans vraiment comprendre sa contribution éventuelle au grand tout.

C’est dans cet espace d’hyper spécialisation, où Mathieu vit ses journées, dirige des équipes et obéît à ses supérieurs que Bertrand Fitoussi va nous faire observer comment toutes les illusions du héros vont être systématiquement détruites. Tout va y passer : la richesse, l’amour,  les illusions du couple et même d’une façon incroyablement cruelle, celles la famille. Tout. Plus rien n’échappe au grand couperet qui s’abat sur Mathieu et c’est très dur. C’est donc l’histoire, extrêmement bien orchestrée, d’un très redoutable châtiment, que ce Roman nous narre. 

Mais quel est le crime qui en est la cause ? Ce n’est pas d’avoir été un « méchant vilain trader » comme certaines de nos élites bien pensantes voudraient croire et nous faire croire, si pressées semblent-elles de diaboliser ce qui les effraye.

Le crime de Mathieu est au contraire beaucoup plus insidieux et répandu : celui de vivre sa vie comme une fuite en avant. La recherche de la richesse, du pouvoir, du plaisir sexuel, la volonté d’appartenir à la classe sociale des « hyper-riches », la recherche de l’amour exclusif de son amante, la croyance en le fait de former une famille stable ou il serait possible d’établir une fidélité qui transcenderait les infidélités conjugales, toutes ces quêtes qui animent Mathieu apparaissent comme des soifs de signes extérieurs d’existence.

A ce polytechnicien formé aux moto « pour la science la patrie et la gloire », à cet homme intelligent, intuitif parfois, à ce cadre supérieur humain  respecté de ceux qui travaillent pour lui et écouté pas ses chefs, il ne manque qu’un chose : la profondeur spirituelle. Tout au long du roman, il est fascinant de voir le vide béant, le manque totalement de référents intérieurs à partir desquels il aurait pu construire sa vie.  

C’est fondamentalement cela la cause de la chute de Mathieu et, peut être, des marchés financiers nous dit, je crois Bertrand Fitoussi. Je recommande  recommandons vivement la lecture de ce roman qui sort ses lecteurs de leur zone de comfort avec talent et humour mais aussi d’une façon sourdement inquiète.





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